Oxmo Puccino

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OXMO PUCCINO 

« La nuit du réveil » 

La nuit du réveil est une confession lucide, un album de proximité. On retrouve Oxmo Puccino au regard aiguisé, la sagesse toujours aussi dense, le vécu à fleur de mots. Moins imagée et plus directe que sur les deux albums précédents, sa parole est objective et reste une affaire de sens. Plus sombre pourtant serti de saillies festives, il nous rappelle que la paix est un choix comme le verre à moitié plein, l’oubli des plaintes et la magnification du quotidien. Ces trois dernières années, dans la frénésie productiviste du rap beaucoup de rappeurs expérimentés ont tenté des coups. 

Oxmo s’est laissé le luxe de mûrir son projet : « Après avoir enchainé les albums et les concerts depuis 10 ans, il s’agissait d’affiner et prendre le temps nécessaire, détaché des vents tournants et des sirènes séduisantes. » L’émergence récente de jeunes loups prolifiques et prodigues en égotrip lui donne l’occasion de réaffirmer lyriquement son statut. Adepte de la parole impeccable, les coups de pression sont lyriques et métaphoriques. Le solide Peuvent pas hausse le ton, surement lassé des mémoires courtes et des attaques faites dans le dos, le King fait les gros yeux à la Marlon Brando. Il met également leur compte aux beaux parleurs dans la peau de l’ours, sur une production hypnotique et minimaliste signée Brodinski. La nuit du réveil est un véritable album de rap aux déclinaisons multiples, éclatées par les explorations musicales et ses figures de style. Oxmo, dans la lignée de son oeuvre ouvre constamment la quête de fiction. Son talent de narration pointe dans chacune de ses chansons. Il regarde le monde et contemple le chemin parcouru avec lucidité, il ne craint pas de faire le point. Mais fidèle à son oeil chroniqueur, il se concentre sur le présent et pointe constamment vers le futur. A « deux fois l‘âge de son premier opéra » (j’reviendrai pas), l’écriture reconnue comme poétique et mature depuis les premiers temps évolue et s’amplifie. 

Oxmo met en paroles les liens de nos passés qu’on souhaite oublier mais qui ne peuvent disparaitre. Il fait le point avec distance, le beat lourd nous plonge dans sa jeunesse proche du Canal de l’Ourcq. Les forts n’ont pas besoin de sur jouer, de revendiquer un quelconque attachement avec la rue, peu de gens la comprennent, elle « fascine ceux qui ne la connaissent pas ». C’est une fine flèche, son arc est précis, Flèche épistolaire est un texte puissant d’une lame de paix, dans son combat il préfère l’épistolaire aux pistolets. Un chapitre majeur dans son oeuvre de transposition sublimée du temps qui court et du monde qui nous entoure. La finesse de sa plume et la puissance imagée de ses métaphores lui permet de continuer à écrire avec son coeur, les classiques s’envolent et l’oeil prend de la hauteur à mesure que passent les années. 

La nuit du réveil possède un recul plus aérien que jamais. Cet album est un marqueur temporel autour duquel les titres font des allers-retours constants entre les époques. Oxmo, lui, a trouvé sa juste place, contemplatif mais « trop au courant », retiré il reste lucide. Au-dessus de la fourmiliere il observe, déploie son regard sombre mais toujours attiré par la lumière, c’est un metteur en scène et ses comédiens sont les mots. A ton âge est une introspection, un testament des difficultés de grandir et de vieillir, de se sentir trop rarement au moment adéquat de sa vie. Oxmo s‘adresse à celui qu’il était plus jeune, ses prédictions et conseils résonnent en chacun de nous. A 20 ans déjà, Oxmo rappait comme s’il était vieux sage. Ici, il nous souffle simplement qu’il est né trop âgé. La transmission occupe désormais une place importante dans ses textes. Le droit de chanter est une chanson remarquable, sur les choix qui se présentent tout au long de notre existence, nous mènent quelque fois vers la légitimité mais plus rarement jusqu’à la liberté d’être ce que l’on est. Dans ce titre en fil rouge, Oxmo parle du parcours du rap dans notre société, de sa réception et de son traitement. 

Eric Truffaz, trompettiste magnifique apporte une profondeur douce et nostalgique pour un titre en forme de manifeste. Oxmo est un Homme de paix, un rassembleur, il concentre son regard sur le beau des choses simples et accessibles à tous. C’est un positivisme de construction (Ma life / A ton âge), loin d’être naïf, ses analyses de la réalité du monde sont lucides et parfois crues (Trop d’amour / J’reviendrai pas / 10 000). 

Avec Le Nombril, une des plus belles chansons de son oeuvre, Oxmo conteur, nous emmène en voyage en 1974, au siècle dernier, à travers le nombril de sa mère, comme un hublot sur la vie d’avant sa naissance. Rarement il ne s’est livré aussi intimement. « Nous ne sommes que des conséquences / Notre passé commence avant la naissance ». Paris et le Mali, les visions de baobab depuis le ventre rond et la guitare d‘Eddie Purple sonne comme des souvenirs sortis en transe. Pour ce huitième album, Oxmo Puccino s‘est entouré de Eddie Purple acolyte et partenaire musical depuis 2010. Artiste aux multiples influences pour qui le groove est la matière essentielle. « Pendant plusieurs mois, on a cherché la direction, travaillé le répertoire, multiplié les expérimentations » dans l’antre d’une chambre perchée sous les toits de Paris d’abord puis dans un gîte à Tours. « Nous avions besoin de nous extraire de Paris, des sollicitations et des enjeux familiaux pour ne penser que musique » précise Oxmo. Pour la phase de production des titres, le duo fait appel à un jeune prodige : Phazz (Orelsan, Almeria, Koba LaD). « Avec Phazz, tout s’est fait très naturellement. Il était sur la tournée d’Orelsan avec Eddie Purple. Il a écouté les tracks et nous a apporté le recul d’une part et aussi une vision actuelle de ma musique avec beaucoup de respect et d‘exigence ». Le trio s’enferme alors au Studio Besco pendant plusieurs sessions pour façonner l’identité sonore de ce nouvel album. Des collaborations prestigieuses autant qu’amicales viennent définir l’horizon de ce nouvel album. « Orelsan est un ami depuis 10 ans. L’heure était venue de fixer cela pour le futur ». 

Ma Life est un titre brillant, un bilan profond et insolent. Du haut de leur statut, nous sommes invités dans une discussion de fin de nuit entre potes. Le couplet d’Orelsan est un cadeau, il excelle dans son mélange de lucidité cruelle et de fantaisie enfantine. Oxmo enchaine comme prophète des satisfactions élémentaires. Les basses profondes, le beat entêtant lui donnent une texture nocturne. « J’ai rencontré Gaël Faye en 2010 dans le métro. A l’issue de cette discussion sous terraine, je l’ai invité à faire la première partie de mon concert parisien. C’était à la Cigale ». Dans Parce que la vie, ces deux amis adeptes des bonheurs simples échangent leurs recettes pour vivre bien sur une production aux accents Trap Brésilien. Ils chantent tour à tour, rappent et scandent dans une joyeuse ambiance que « la vie c‘est inexplicable ! ». 

Le rap Belge devenu incontournable, Oxmo que l‘on a vu récemment aux côtés d’Hamza invite le duo Caballero & JeanJass pour un titre suave et aérien. On entre dans un Social Club aux volutes épaisses et à la flute enjouée, un hommage aux échoppes barcelonaises. La nuit du réveil est un album à écouter entre amis ou seul, à 2h du matin « en tête à tête avec le miroir à refaire sa vie » comme le conseille Oxmo dans la première phrase d’A ton Age, ou au réveil, pour accompagner sa journée d’un timbre reconnaissable entre tous, une diction inimitable, une voix de conscience, de paix et d’approfondissement. Dans cette oeuvre charnière entre un passé qu’il regarde dans les yeux et un futur qu’il nous veut radieux, Oxmo sait où il se trouve et se souvient du chemin. Cet album comme manifeste au « droit de chanter » et d’exister, d’exprimer sa nostalgie, de construire sa destinée. 

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